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ALGERIE 2014

Le Billet d'Humeur d'Ibn Ziri

Soyez fiers de l’indépendance !

Publié le 7 Juillet 2012 par Arabies.over-blog.com in Algérie

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Par Maâmar FARAH
maamarfarah20@yahoo.fr

La nuit dernière, une panne de courant est survenue au niveau de notre immeuble. Plus de télé, de climatisation, de lumière, d’internet, de réfrigérateur, etc. Ce n’est pas bien grave, cela arrive souvent dans beaucoup de foyers en temps de chaleur excessive. Mais, ce qui m’a surpris est la réaction de mon fils qui a demandé d’aller passer la nuit chez nos voisins si l’électricité ne revenait pas. J’ai cru comprendre qu’il ne peut dormir sans faire un tour par Facebook et que le sommeil serait impossible sans l’air frais de la climatisation.
Et là, je me suis posé la question de savoir si mon fils savait comment vivaient les Algériens avant 1962, s’il était conscient du fait que tous les gadgets électriques qui l’entourent et qu’on peut trouver dans la majorité des foyers étaient inaccessibles aux Algériens de l’époque coloniale. Alors, oui, il faut le dire, le répéter et le rappeler à ceux qui martèlent que nous n’avons rien fait en 50 années d’indépendance : vous n’avez rien compris à votre pays et vous faites semblant d’ignorer les réalités de votre peuple lorsqu’il subissait le joug de la colonisation. J’en ai longuement parlé à mon fils et je lui ai raconté comment mon propre père, réalisant que nous vivions dans des conditions enviables par rapport au reste de la population (électricité, WC, eau courante, TSF, 203 familiale flambant neuf), m’avait emmené un jour chez sa tribu. C’était un immense bidonville et les gourbis se succédaient dans la désolation totale. Rues parcourues par des eaux nauséabondes, poules lâchées dans la nature, parfois une maigre chèvre, unique bien de toute une famille. A l’intérieur, une seule pièce servait de cuisine, salon, chambre à coucher. Les murs, en terre battue, étaient noirs : on utilisait le bois et à l’heure de la cuisson des repas, la fumée devenait insupportable… Les hommes et les enfants pouvaient sortir mais pas ma pauvre tante qui devait surveiller le maigre repas, une pâte sans saveur barbotant dans de l’eau bouillante. Mon père avait déposé quelques fruits qui furent aussitôt cachés pour ne pas subir l’assaut des enfants. Partout, il n’y avait pas d’électricité. Dans un autre gourbi, tout aussi sale, il y avait un gosse malade qui vomissait. Il y avait un seul médecin militaire pour tout un village et conduire le souffrant chez un privé, à la ville voisine qui se trouvait à 50 kilomètres, était une véritable expédition. On laissait mourir les malades. Vieux ou jeunes, ils n’avaient aucune chance d’échapper à leur sort. Au moment où les colons faisaient la fête du 14 juillet, la chaleur achevait des vieillards qui avaient à peine 50 années. L’espérance de vie de notre peuple ne dépassait pas les 48 ans et si certains veulent revenir à cette époque, en dénonçant tout ce qui a été fait par la suite, qu’ils n’oublient pas de prendre avec eux les certificats médicaux de leurs derniers séjours dans les hôpitaux parisiens ! Les enfants étaient pieds nus. Leurs vêtements étaient rapiécés en plusieurs endroits. Ils étaient pâles et crasseux. Les garçons étaient mal peignés et leurs cheveux parfois parcourus de pelades hideuses. Les filles portaient des foulards qui semblaient provenir de la garde-robe de leur grand-mère. La nuit, avant de les coucher, les mains habiles de mes tantes s’acharnaient sur les poux. Ces gosses n’allaient pas à l’école et n’étaient pas vaccinés. Ils jouaient des jeux simples et leurs divertissements dans les eaux usées précipitaient certaines maladies qui prenaient parfois la forme de contagieuses épidémies. Leur plus grand rêve était d’avoir un peu de chocolat… Mon père est parti trop tôt (1966) et ne peut voir son village aujourd’hui. C’est devenu une ville, avec de grands bâtiments à la place des bidonvilles, une grande minoterie, une poste moderne, une daïra, un commissariat de police et une très grande école de la Gendarmerie nationale, la troisième d’Afrique, érigée sur nos propres terres, un nouveau dock silos pour le blé, une nouvelle gare routière, une piscine, des routes refaites avec des échangeurs et des ronds-points éclairés par l’énergie solaire, une banque agricole… Mon père ne peut pas voir les enfants de sa tribu, bien habillés, débarrassés à jamais des poux et des maladies, vaccinés gratuitement dès leur naissance, il ne peut pas les voir fréquenter les nombreuses écoles, les CEM et les deux lycées, lui qui a souffert pour m’envoyer étudier à 150 kilomètres de chez nous, et encore c’était pour la… sixième ! Nous étions les fils de l’indépendance mais celle-ci n’avait pas encore livré tous ses fruits. Internes à 12 ans, arrachés à notre enfance heureuse, nous avions appris le sens du sérieux et de la discipline ; nous avions appris à respecter les sacrifices de ceux qui sont morts pour que le drapeau national soit hissé au fronton de notre lycée ! C’est cette Algérie de la désolation et de la misère généralisée que regrettent ceux qui nous disent : «50 ans, ça suffit !» Non, ça n’a pas suffi pour donner plus de chances à tous les Algériens ; non ça n’a pas encore suffi pour que la lumière pénètre tous les foyers et ceux qui mettront aujourd’hui un drapeau sur leurs portes sont justement ceux qui attendent encore. Et vous, vous souvenez-vous du gourbi ? Et de l’âne ? Oui, l’âne, un moyen de transport qui n’était pas à la portée de tout le monde ! Si tu ne t’en souviens pas, demande à ton père ou à ton grand-père ! Evidemment, les déceptions sont nombreuses et je crois que, travaillant dans un journal qui n’est pas tendre avec le pouvoir, nous les disons tous les jours ; nous les crions face à un système qui n’a pas compris qu’il est temps de mobiliser nos devises pour la création d’emplois et que toutes les tentatives actuelles de reloger les gens et d’améliorer leurs conditions de vie ne serviront à rien s’ils doivent rester éternellement chômeurs ! Réindustrialiser le pays pour créer la richesse et arrêter l’hémorragie de devises qui partent en fumée dans des importations… fumeuses… Voilà le défi des prochaines années. Mais entre les patriotes qui, au-delà de leur appartenance à l’un ou l’autre des secteurs public ou privé, veulent l’intérêt national et ceux qui retourneront dans leur second ou troisième pays à la fin de la manne pétrolière, nous devons savoir choisir. Maintenant, va au feu d’artifice, mon fils ! Chante et danse et dis merci aux millions de martyrs qui, depuis notre cousine Dihya (dite El Kahina), enterrée pas loin de chez nous, et jusqu’à Massinissa Guermah, sont morts pour que tu vives dans l’Algérie libre ! Sois fier de notre indépendance, mon fils !
M. F.

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